Judikael ressemblait à un petit ange.

Peu importait sous quel angle on l'observait, tant que l'on ne connaissait pas le vampire, que l'on ne faisait que le contempler de loin, c'était l'impression qu'il offrait à quiconque osait poser les yeux sur lui. Que ce fût un enfant, un adulte ou une personne âgée, l'image ne différait pas. Malgré quelques caractéristiques particulières, il était difficile de songer à lui autrement qu'à un de ces êtres célestes. Il n'était qu'un petit morceau de coton blanc, agréable et sublime, sans avoir la froideur d'un flocon, le sourire plus chaleureux qu'un rayon de soleil. Rien n'indiquait la vérité, tout semblait enterré sous une belle couche de neige, pareille à l'avalanche engloutissant sournoisement une tonne de cadavres ---

Il était un véritable plaisir pour les prunelles, un magnifique subterfuge à travers lequel personne ne voyait. Tout ce que l'on voyait, c'était ses gestes calculés, élégants, d'une grâce qui semblait naturelle. On préférait voir l'enveloppe - de beaux costumes d'une ancienne époque, probablement victorienne, un veston impeccablement enfilé ainsi qu'un beau ruban, en général rouge, attaché autour de son cou comme l'on y verrait une cravate, de longs manteaux lorsque le temps l'exigeait, lui donnant une image distinguée de gentilhomme - plutôt que se concentrer sur ce qu'elle contenait. Il n'imposait pas, Judikael. Sa carrure frêle avait l'effet inverse et on avait bien du mal à le craindre, et ce même sans ignorer la fine musculature qu'il cachait avec pudeur.

A lui tout seul, il représentait un spectacle, réunissant le magicien et l'assistante en sa petite personne. Par chaque battement de ses longs et neigeux cils, il envoyait de la poudre dans les yeux de chacun. Il impressionnait par ses divers talents, par son apparence angélique, et par la malice qu'il dissimulait si bien. Si difficile de la distinguer dans ses yeux comparables aux pierres de lune ; ce splendide mariage entre le bleu et le blanc, gris clair à certaines occasions, mais qui avait toujours l'air de repousser la malveillance et de n'en garder pas une seule miette. Il était dur de croire, mais surtout de réaliser, que de telles perles à l'apparence pure puissent appartenir à un être impur tel que lui.

Certains disaient qu'il y avait des indicateurs de son évidente impureté, qu'il ne faut nullement juger un livre à sa couverture, car même la plus belle des couvertures ne saurait rendre l'histoire aussi sublime. Si Judikael était réellement un ange, il ne devrait pas avoir tant de cicatrices, n'est-ce pas ? On pointait alors du doigt la vilaine cicatrice qui lui traversait l'arcade sourcilière jusqu'à la pommette, habilement cachée sous un tatouage rouge, attirant le regard sur l'étoile à son commencement plutôt que ce qu'elle racontait sur son compte. Loin d'être terminé, on indiquait également que son bras largement tatoué devait avoir un secret, si ce n'était plus, puisqu'il débutait à son épaule pour terminer à ses ongles ; mais l'on avait rarement l'occasion d'admirer sa main abîmée, masquée sous un gant en permanence, tout comme sa jumelle. Puis, certaines cicatrices, tout comme ses secrets, restaient cachées, à l'abri des regards.

Personne n'avait besoin de faire remarquer que sa chevelure neigeuse - qui aurait bien eu besoin d'un petit coup de peigne, puisque ses mèches lisses se faisaient parfois rebelles - n'avait rien de naturelle. La blancheur s'était faite artificiellement, grâce à quelques potions nécromanciennes, dont il ne manquait jamais d'utiliser. Ainsi, nul ne savait quelle avait été sa véritable couleur, puisque les potions blanchissaient le moindre de ses poils. Il appréciait agrémenter, de temps à autre, sa coiffure d'un joli ruban rouge qu'il nouait en petite queue de cheval, et quelques jaloux disaient que c'était un signe ; une perle de sang sur la neige. C'était vrai, en un sens, car cet homme n'avait en réalité rien d'un ange.

Judikael n'était rien de plus qu'un humain.